La journée du 1er mai est l’occasion de faire mémoire des grandes avancées sociales sur le temps de travail. Or, dans l’entreprise, au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, la question de la maîtrise du temps de travail est un tabou à lever pour progresser sur l’égalité entre hommes et femmes.
Quelques repères sur cet enjeu qui est un nœud en matière de sens au travail pour les hommes comme pour les femmes.
La pression du temps: puissant destructeur de sens au travail
Le sens au travail est notre réservoir d’énergie: quand il est plein, nous sommes de bonne humeur, ouverts, constructifs, capables d’autonomie, d’initiative, de leadership… quand il est vide, nous sommes pessimistes, fatigués, critiques, résistants au changement. Pour l’entreprise, le sens au travail des collaborateurs impacte directement la performance et la fidélisation des talents.
Tel un tabouret, le sens au travail s’ancre sur trois pieds: une utilité concrète, reconnue et orientée vers un bien commun, une liberté au quotidien pour exprimer nos talents et notre personnalité, un climat relationnel de qualité qui fonde le plaisir de travailler ensemble.
Or, le temps de travail devient de plus en plus complexe à maîtriser aujourd’hui : pression des objectifs, densification, interdépendance, sur-sollicitation, outils numériques qui effacent la frontière vie pro-vie privée, urgences, défis permanents d’adaptation et de transformation…
Dans ce contexte, l’équation du sens au travail est particulièrement fragilisée pour les personnes dont le temps est plus contraint, moins souple, moins élastique : c’est le cas de toutes les personnes qui assument des charges familiales de toute nature ou des engagements extra-professionnels tels que activités artistiques, sportives, politiques, sociales, bénévolat… Dans la société telle qu’elle est aujourd’hui, une large part de l’évaporation des talents féminins s’explique très simplement par une trop grande difficulté à maîtriser son temps de travail. De manière moins visible, de nombreux talents masculins sont également pénalisés.
C’est un sujet complexe parce que la pression du business est très forte et parce que l’habitude est ancienne de compter sur une forte disponibilité des managers et plus encore des cadres supérieurs et dirigeants. On a parfois du mal à imaginer qu’il soit possible de faire autrement.
C’est aussi un sujet que les dirigeants peuvent avoir du mal à aborder car il pose la question de la rentabilité du temps de travail de chaque collaborateur et notamment des collaborateurs les mieux rémunérés.
Les réticences des jeunes générations face à ce modèle de disponibilité sont probablement le signal le plus clair pour nous inviter à le prendre à bras le corps. Les jeunes talents sont aujourd’hui comme les grenouilles qui fuient la marmite où se sont laissé ébouillanter tant de leurs congénères.
Transformer le travail en prenant soin du temps
Dans son livre Merci, mais non merci, Céline Alix suit des femmes brillantes qui ont lâché leur carrière en entreprise et ont finalement déployé leurs talents dans des environnements tout aussi exigeants mais beaucoup plus souples. Elle évoque un nouveau modèle de réussite sociale, dont l’un des deux piliers est la maîtrise du temps de travail, l’autre étant une manière plus collective et collaborative d’exercer le pouvoir.
La démarche Happy Men Share More propose un chemin pour avancer pas à pas sur la question complexe d’une meilleure maîtrise du temps de travail.
- Prendre conscience des normes implicites qui pèsent sur notre vision de la performance et de l’engagement au travail.
- Prendre le temps d’un diagnostic individuel et collectif sur une problématique multi-factorielle : des petits leviers peuvent permettre de grands progrès.
- Favoriser le dialogue sur la question de la maîtrise du temps de travail.
- Introduire autant de flexibilité que possible dans les fonctionnements tout en l’adaptant aux besoins de chacun et aux urgences collectives.
- Faire la pédagogie de règles collectives qui favorisent la maîtrise individuelle du temps de travail: ponctualité, horaires, préparation et durée des réunions, niveaux d’urgence, durée des séminaires, mobilités…
- Développer une culture du respect de la vie privée par une exemplarité incarnée au plus haut niveau de l’entreprise.
L’engagement de la direction et la formation managériale sont indispensables mais rien ne peut réussir sans que chacun se saisisse de son propre espace de responsabilité.